A la fin des années 1960, il débarque à Buzios, au Brésil. « Je suis allé prendre un verre chez un ami et Brigitte Bardot était là… » Des anecdotes comme celle-ci, Julio Bernadou en a des tonnes en stock. Né à Buenos Aires, il a sillonné la terre entière. Davantage globe-trotter que jet-setteur, il a posé ses valises à Ibiza, « lorsque l’île était quasi déserte », à Londres, New York, Berlin, puis Paris et Saint-Germain des prés en 1969. « Les aventures déclenchent toujours des projets, des jobs, des histoires d’amour », raconte l’architecte et designer à l’accent sud-américain. On lui doit notamment plusieurs dizaines de villas construites à Buzios, d’autres encore à Ibiza, une centaine d'appartements de prestige à Paris, sans oublier les luminaires et pièces de mobilier qu'il a dessinés. Des objets dont il soigne les détails, les finitions et pour lesquels il veut échanger avec les artisans, « sentir l’intensité des outils, sinon ça n’a pas d’intérêt ». Bavarder avec lui, c’est voyager. A une autre époque -formidable-. Celle de la spontanéité. « Celle où les tables des cafés étaient petites pour faciliter les discussions ». Celle où il parlait boxe avec Delon dans un avion, saluait Mastroianni qu’il croisait rue de Seine, refaisait le monde avec Dali lors d’une fête du Grand Magic Circus de Savary, côtoyait les maîtres de l’art cinétique : Le Parc, Soto, Cruz-Diez… « Quand je commence à raconter tout ça aux Parisiens d’aujourd’hui, je rentre dans la pédanterie à leurs yeux », regrette ce nostalgique des filles de la Nouvelle vague et des sièges en cuir bleu des compagnies aériennes argentines.

« Aujourd’hui, c’est un peu l’ennui : on a tout verrouillé »

Homme d’action, d’instant, d’instinct, il revendique « n’avoir jamais eu de plan de carrière ». Il est tout le contraire. Un jour, de passage à Panama, on lui parle d’une expédition qui part au large, à la recherche d’une vierge en or massif enfouie dans les eaux du Pacifique. Sans hésiter, il s’embarque trois mois dans cette drôle de partie de chasse, dont il ne rapportera aucun trésor. « Tout s’est toujours mélangé dans ma vie et cela créait une sorte d’esthétisme, un certain romantisme ». Mais, aujourd’hui, « c’est un peu l’ennui ». « Paris est devenue une ville-musée. Les femmes se ressemblent toutes. On a tout verrouillé ». L’hermétisme ambiant l’agace. La pseudo branchitude du 9ème arrondissement, où il vit désormais -« de façon provisoire »-, le désole. Et l’absence de prise de risque effraie cet ancien joueur de rugby. « Dans un tel climat, même nos métiers voient leur définition glisser vers de nouvelles significations. Je suis architecte et designer de formation, mais aujourd’hui mon travail relève plutôt du conseil, de la coordination ». Comme si créer, inventer, imaginer, oser, relevait désormais de l’impossible, de l’impensable. Bernadou termine son café dans l’arrière-boutique d’une amie, rue Jacob. Il ne comprend plus l’atmosphère convenue du quartier, même s’il espère vite renverser le 9 de son actuel code postal « pour qu’il redevienne un 6 ». Il ne se reconnaît plus bien dans ce Saint-Germain, alors qu’en 1969, il avait tout plaqué, quitté Ibiza et ses filles dénudées « pour venir à Paris, voir des femmes habillées ».