Elle a quitté Paris pour Bruxelles voilà une dizaine d’années. Pour elle, le Thalys est devenu comme un « super RER » pour rallier les deux capitales. Quand Pascale Mussard a proposé de faire découvrir « son » Bruxelles, impossible de décliner l’invitation. Car pousser la porte des lieux où la plus punk des figures de la maison Hermès a ses habitudes relève de la « party » de plaisir. Durant toute une journée, 1 Epok a donc suivi la directrice artistique de petit h, laboratoire (ré)créatif où l’on offre une seconde vie aux « attachantes pièces détachées » que sont les matières et objets récupérés dans les ateliers Hermès. Ce parcours bruxellois nous a menés du quartier des Marolles à Saint-Gilles, en passant par Ixelles et le parc Tournay-Solvay, de cabinets de curiosités en curiosités tout court, galeries, ateliers, édifices Art nouveau et adresses gourmandes. Le tout ponctué de rencontres - prévues ou pas - avec des personnalités singulières, sorties du rang, affranchies des convenances.

Kelly des champs, bijoux et objets rares

Toute première vision en quittant la gare de Bruxelles-Midi : le « Kelly picnic » en osier et veau Barénia, porté à l’épaule par Pascale Mussard. Un étonnant « Kelly des champs », cousin du subtil  « Kelly des villes », idéal pour une virée dans une capitale qui compte plus de 8 000 hectares d’espaces verts. Une capitale qui se vide, l’été. Surtout en juillet. Toutefois, du côté du Sablon, tout le monde n’a pas encore fugué. A commencer par celles et ceux qui cassent, retapent, transforment, changent de déco et de décor. C’est le cas de Patrick Sigal, qui collectionne les bijoux de la haute couture depuis plus de trente ans. Sa boutique Ciel mes bijoux ! (10 rue Ernest Allard) accueille depuis peu une nouvelle galerie en étage, baptisée More Upstairs, où il expose des objets rares. A l’instar de l’hommage qu’il rend au créateur de bijoux Christian Wuytack, jusqu’au 31 juillet.

Patrick Sigal et entrée du Cinéma des Galeries.

Betty De Stefano et son complice Ivan.

Jeunes talents, friterie et drôle de rabbin

Branle-bas de combat aussi dans la Collectors gallery de Betty De Stefano. Installée rue Lebeau, cette Carioca qui a étudié la psycho à l’Université libre de Bruxelles s’apprête à investir une bâtisse de cinq étages, rue des Minimes. La collectionneuse de bijoux, également experte en histoire de la parfumerie, a envie d’espace. Car elle souhaite accueillir de jeunes talents, multiplier les vernissages - avec friterie à l’entrée - et continuer de mettre à l’honneur aussi bien la sobriété des créations scandinaves du XXe que l’excentricité des pièces contemporaines réalisées par le rabbin Daniel von Weinberger. « Je veux sortir de ma zone de confort », confie cette aventurière qui prône les mélanges, l’esprit d’ouverture, le hors code comme le hors piste. Tout à coup, une longue figure apparaît dans la vitrine de sa boutique. C’est le styliste et voisin Jean-Paul Knott. Ancien de chez Saint Laurent, Krizia, Féraud ou encore Cerruti, il a désormais sa propre maison. Il passe une tête : « Je rentre à l’instant du Japon… » Le jet lag ne l’empêchera pas de nous accueillir, échanger quelques mots et distribuer son journal Track, un grand format en noir et blanc, aussi épuré et élégant que la ligne des vêtements qu’il crée.

Café La Brocante et ancienne caserne de pompiers transformée en resto bobo...

Les patrons de la poissonnerie de la rue Haute, amateurs de boudin...

Soupière kitsch, stoemp et ordre du bloempanch

Dès son arrivée à Bruxelles, Pascale Mussard a fait de la place du Jeu de Balle et de sa brocante quotidienne, l’un de ses QG. « Le week-end, se souvient-elle, j’y croisais tout Paris qui venait s’inspirer ici. » Dix ans après, elle continue de fréquenter les abords de la rue Blaes. Car elle aime chiner, fouiner, dénicher une soupière un peu kitsch, tomber sur des assiettes anciennes illustrées de rébus, mais aussi faire une pause au café La Brocante, le temps d’un stoemp, avec orchestre de jazz en sus. Son escale préférée ? C’est à midi pile, lorsqu’elle peut s’asseoir à l’une des deux ou trois tables installées dans la poissonnerie de la rue Haute. Ici, les patrons font partie de l’ordre du bloempanch, qui défend la gastronomie et le folklore bruxellois.

Quartier des Marolles, avec graff signé Jef Aérosol.

Le styliste Jean-Paul Knott et robes en papier d'Isabelle de Borchgrave.

4,5 km de papier, 3 000 dessins et 5 000 livres

Autre étape gourmande : la cuisine de l’artiste Isabelle de Borchgrave. « On passe d’abord à table. On visitera l’atelier ensuite… » Au menu : artichauts, quiche maison, fraises et carrés de chocolat. Le tout dans un ancien garage métamorphosé en habitation, avec galerie, jardin et le fameux atelier en duplex de cette magicienne qui transforme un simple papier d’emballage, sa matière première - « j’en utilise 4,5 kilomètres par an » -, en robes, accessoires, objets, animaux, personnages… Ici, on est ailleurs. Entre pays de Cocagne et pays des merveilles. L’atelier abrite quelque 3 000 dessins et sa bibliothèque pas moins de 5 000 ouvrages, tous cotés, répertoriés, sans oublier les dizaines de carnets de voyage. Difficile de partir. Mais il le faut : on nous attend dans une maison au milieu d’un parc...

Atelier d'Isabelle de Borchgrave.

L'artiste Isabelle de Borchgrave excelle dans l'exercice du trompe-l'oeil.

Diane Hennebert et Villa blanche investie par l'artiste Jean-François Fourtou.

Accumulation, agrégée de philo et jeunes en décrochage

Direction le parc Tournay-Solvay, dans la commune de Watermael-Boitsfort. Entre la chaussée de la Hulpe et la ligne de chemin de fer Bruxelles-Namur. Ici, jusqu’au 10 septembre, l’artiste Jean-François Fourtou a investi la Villa blanche avec une installation monumentale, composée d’une accumulation de meubles en équilibre précaire, au milieu desquels circulent des abeilles géantes… Pas banal. Tout comme l’initiative privée Out of the box, partenaire de l’expo. A sa tête : Diane Hennebert. Ancienne administratrice de la Fondation Boghossian, cette agrégée de philo a tout plaqué pour se lancer dans l’aventure Out of the box, qui donne une nouvelle chance à des jeunes de 15 à 19 ans en rupture avec le système scolaire. « Près de 35% des jeunes belges refusent d’aller à l’école et se marginalisent de tout apprentissage », explique Diane Hennebert. Il faut donc agir et réagir. Ce qu’elle fait avec son école d’un autre type, où l’anglais et la philo priment, les maths sont enseignées par un champion d’échecs et les 25 jeunes de chaque promo préparent des plats, puis dressent une table pour recevoir des personnalités et discuter avec elles à bâtons rompus. Pascale Mussard a fait partie des invités. Tout comme l’écrivain et journaliste François Reynaert, le chocolatier Laurent Gerbaud ou encore les artistes Pierre & Gilles. Diane Hennebert aurait pu rester « au chaud » dans la somptueuse Villa Empain, qui abrite la Fondation Boghossian. Mais cette passionnée d’art contemporain, dont la grand-mère était propriétaire du champ de bataille de Waterloo, refuse que la Belgique soit à la fois « le 3e système scolaire le plus cher d’Europe et le 3e plus mauvais ». Pour sa troisième rentrée, en septembre prochain, Out of the box va accueillir 35 nouveaux jeunes. Quant aux deux thématiques annuelles sur lesquelles ils vont plancher : après « les abeilles » et « moi et mon contraire » cette année, place aux « arbres » et aux « robots ». A suivre

Reportage réalisé avec la complicité de Visit Brussels.