Entre JN. Mellor Club - duo de créateurs composé de Karine Arabian et Franck Blais - et 1 Epok formidable, c’est une histoire qui dure. Depuis 2017. Cette année-là, Karine Arabian, passée par Esmod et le studio Berçot, confiait qu’elle avait un projet dans les cartons. Un « truc » un peu fou, qui allait permettre à la créatrice de souliers et accessoires, qui ont porté son nom, de tourner une page avec cette vie d’avant. Par envie de changer d’air. Par besoin de découvrir de nouveaux territoires. Par goût de l’aventure… Début 2019, dans le n°2 de la revue « papier » d’1 Epok formidable et sous la forme d’une « carte blanche » qui prenait les airs d’une mise à feu, Karine Arabian et Franck Blais - graphiste, issu des Beaux-Arts d'Angers - annonçaient la naissance « officielle » de JN. Mellor Club. « J et N, ce sont les initiales de nos mères respectives, Jocelyne et Nicole. Quant à Mellor, c’est le vrai nom de famille de Joe Strummer, des Clash ! » Et l’idée du club ? C’était pour éviter le mot « communauté », un rien galvaudé. Un club, mais pour quoi ? Pour « faire ». C’est-à-dire : tester, tâtonner, douter, chercher, dénicher, inventer, innover… Éviter un « faire » qui ressemble à celui des autres. S’affranchir d’un esprit de marque, pour lui préférer celui de « marque de fabrique ». Poser un ton, un regard, une main, un geste sur une matière de prédilection : le cuir.

Un sens de l’endurance

Dans un premier temps, le duo Blais-Arabian s’est entouré des compétences d’artisans, artistes, tanneurs, designers... Ensemble, ils ont créé des objets, accessoires, blasons et autres étonnants cabas inspirés des sacs de ciment… où chaque piqûre, chaque détail, chaque matière racontait une histoire. Le tout « avec trois francs six sous », précisait alors Karine Arabian. À la sortie du Covid et de ses confinements, JN. Mellor Club expose à la Biennale Émergences, aux salons Révélations et Première Classe, dans la boutique A Rebours au Lafayette Anticipations ou encore dans une chambre de l’hôtel La Louisiane, au cœur de Saint-Germain-des-Prés… Le « Club » se pose, dispose, propose et se fait repérer peu à peu, par l’un, par l’autre… jusqu’à décrocher le Grand Prix 2021 de la Ville de Paris - section « mode » -, une double page dans le magazine du Monde, le feu vert pour une résidence de quatre mois en 2023 à la Villa Kujoyama, à Kyoto, un atelier avec vue sur la Seine dans le Musée Transitoire, puis une commande conséquente en 2024 pour une maison de joaillerie de la place Vendôme. Le résultat d’un sens de l’endurance, d’une bonne dose de persévérance, mais aussi d’une connivence et d’une confiance sans faille entre deux talents actifs, réactifs, créatifs.

Quatre mois « hors du temps »

« De ma rencontre avec Franck en 2015 jusqu’au travail que nous menons ensemble, actuellement, pour un joaillier, en passant par notre expérience au Japon, tout cela fait partie d’un parcours », résume Karine Arabian. Avec un temps fort : les quatre mois passés au sein de la Villa Kujoyama. Cette résidence artistique, issue du réseau de coopération culturelle du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, relève de l’Institut français du Japon et bénéficie du soutien de la Fondation Bettencourt Schueller. « À Kyoto, nous avons vécu hors du temps. C’était une véritable prise de recul sur Paris, notre vie, nos envies, nos idées. Nous étions ouverts à tout, 24 heures sur 24 », raconte le duo. Avec la recherche intensive, menée auprès de tanneurs japonais – taiseux et difficiles à approcher, « même avec Google trad’ ! » -, d'un cuir japonais ancestral. Un cuir laqué, autrefois utilisé pour les armures des samouraïs, mais aussi pour fabriquer des boîtes et de la vaisselle. Une quête qui a conduit Karine Arabian et Franck Blais jusqu’à un cuir blanc, tanné avec de l’eau, de l’huile de colza et du sel. Matière singulière pour créer autrement, « monter le bel objet », flirter avec « un luxe discret », explique Karine Arabian. Elle et Franck Blais parlent d’une « expérience humaine » à part, « très forte ». De retour à Paris, dans leur atelier du Musée Transitoire, ils égrènent ainsi leurs souvenirs du Japon : l’initiation à la cérémonie du thé dans une alcôve peuplée d’œuvres d’art, la découverte d’une technique de tannage par enfumage - « où le cuir blanc devient couleur cognac et laisse apparaître des motifs » -, les objets qui ont une âme, les collaborations artistiques au sein de la Villa, la rencontre avec deux étudiants français inscrits aux Beaux-Arts de Kyoto pour enrichir leur thèse… « Avec eux, nous avons réalisé une performance inspirée des gestes de la cérémonie du thé et de la purification d’objets en cuir. Car, au Japon, les tanneurs sont issus d’une caste d’impurs », détaille Karine Arabian. Deux tandems, deux approches, deux sensibilités, deux créativités, qui ont permis de boucler le travail de recherche de JN. Mellor Club à la Villa Kujoyama.

« La force d’être deux »

© Gilles Jaroslav

Outre le décalage horaire avec Kyoto, où Karine Arabian et Franck Blais ne circulaient qu'à vélo, il leur a fallu un peu de temps pour se réhabituer à Paris. Pas trop quand même, commandes et chantiers en cours obligent. Les recherches, les essais, les tâtonnements aussi. Les fondateurs de JN. Mellor Club veillent à les poursuivre, coûte que coûte, dans leur « atelier-laboratoire », où ils ont trouvé « une forme de bonheur ». Leur dernière « fantaisie » ? La mise au point d’un support pour un encens en cours de finalisation au Japon, inspiré par l’odeur de tcheurek - brioche de Pâques arménienne - qui sort du four… Autre projet japonais : une exposition collective autour du cuir et de la cérémonie du thé, dans une galerie à Kobe. Le duo parle de « conviction », d’« intuition ». « Pour durer, il ne faut pas lâcher », soulignent encore Karine Arabian et Franck Blais. Leur secret ? « La force d’être deux. »

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