L'As, dessin de Philippe Starck pour le Collège de Pataphysique, 2021 © Jean-Louis Losi

« J’ai eu sa brosse à dents. J’ai encore son presse-citron. » C’est Chantal Hamaide, journaliste, spécialiste du design et fondatrice du magazine Intramuros, qui parle ainsi de Philippe Starck. Elle vient de l’interviewer à Paris pour les besoins d’un travail en cours. Paris qui célèbre le designer dans trois lieux d’expositions : le musée Carnavalet (1), la galerie Jousse Entreprise (2) et, en février dernier, c’était à la galerie Ketabi Bourdet (3), avec des pièces de mobilier imaginées voilà quarante ans et inspirées par le roman de science-fiction Ubik de Philip K. Dick, cher à Philippe Starck – il a d’ailleurs baptisé ainsi son studio de création parisien -. On y voyait une soixantaine de réalisations, parmi lesquelles une table dotée de pouvoirs télépathiques, un fauteuil tel un vaisseau spatial, un guéridon baptisé du nom d’une station lunaire… « Philippe Starck est dans le plaisir, le jeu. Comme il se régale en faisant, ses créations vont régaler les autres ensuite », commente Chantal Hamaide qui connaît le designer depuis ses premiers objets. Ça fait un bail. Plusieurs décennies de complicité, d’amitié. Si bien qu’elle se laisse appeler « Mamede » par celui qu’elle a connu lorsqu’il vivait dans le 9e arrondissement de Paris, « avec un réchaud à gaz et sa fille Ara encore dans son berceau ».

Sous l’escalier du Café Costes, 1984 © Deidi von Schaewen

« Science des solutions imaginaires »

À la galerie Jousse Entreprise, place à des petites séries signées Starck. Objets, meubles et même prototypes sont présentés jusqu’au 6 avril 2023. À cela s’ajoutent quelques pièces liées à des lieux emblématiques, comme la chaise à trois pieds du Café Costes à Paris, le tabouret du restaurant Manin à Tokyo ou encore le proto d’une assise pour l’hôtel Royalton à New York. Quant au musée Carnavalet, il a confié à Philippe Starck le soin de mener « conception et direction artistique » d’une exposition intitulée « Paris est pataphysique » (jusqu'au 27 août 2023). C’est quoi, ça ? Un itinéraire qui chemine entre espaces publics et sites touristiques - Tour Eiffel, canal Saint-Martin, parc de la Villette -, lieux de pouvoir - Palais de l’Élysée - et « sites de rencontres » - Bains-Douches, Caffè Stern... - . Le tout à grand renfort d’explications volontiers décalées, issues de la pataphysique, « science des solutions imaginaires » inventée par l’écrivain Alfred Jarry. Le « professeur » Starck, en tant que « régent du collège de pataphysique », explore ici de nouveaux « mystères de Paris », incarnés, illustrés, nourris par ses réalisations campées au sein de la capitale . Le tout fort bien scénographié par l’Atelier Maciej Fiszer.

Cabale masquée

« C’est un amoureux de Paris, même s’il n’y vit plus très souvent, étant davantage au Portugal depuis quelques temps », confie Chantal Hamaide à propos de « l’ami Starck ». Elle poursuit : « C’est un fou des puces, il a choisi le quartier du Trocadéro pour installer son studio de création et en tant que directeur artistique du Too Hotel, perché au sommet d'une des Tours Duo de Jean Nouvel, dans le 13e arrondissement, il a pensé à laisser, dans chaque chambre, le détail du Parisien : à savoir une paire de jumelles posée sur un plateau, afin que l’on puisse observer la capitale vue de très haut. » Quand elle le décrit, le qualifie, Chantal Hamaide dit de Philippe Starck qu’il est à la fois « sensible, jamais en colère, souriant, intelligent, cultivé, instinctif ». Signe particulier et manie sans manière : « Depuis l’école Camondo, où il était élève, il dessine tout sur du papier calque, format A4. » Des anecdotes avec lui, elle en a à la pelle. À commencer par le souvenir d’un shooting avec le photographe Jean-Baptiste Mondino en 1998. « Philippe était en retard… Je voulais le faire poser, pour une couverture d’Intramuros, avec un masque de lui confectionné par le designer Ingo Maurer. En l’attendant, Jean-Baptiste Mondino était en train de terminer le portrait d’un athlète, grand, musclé… Philippe n’était toujours pas là… Jean-Baptiste m’a proposé de mettre le masque à l’athlète. J’ai dit oui. Philippe est arrivé, il a dit : génial ! On a donc fait la couv’ avec cette drôle d’image. »

Des 3 Suisses au PAD…

Chantal Hamaide - © DR

Tout aussi insolite : « Hier au PAD, à Paris (salon dédié au design, jusqu’au 2 avril 2023 aux Tuileries), je suis tombée sur un exemplaire du coffret ‘ maison Starck ’ des 3 Suisses, proposé à la vente », raconte Chantal Hamaide. Dans ce coffret, conçu en 1993, Philippe Starck avait imaginé les plans d’une maison à faire soi-même, en bois, verre et zinc, matériaux increvables, tout temps, tout terrain, qui se patinent au fil des ans. À l’époque, cette « Starck-house en boîte » avait trouvé sa place dans le catalogue de vente par correspondance des 3 Suisses, édition automne-hiver 1994-1995. « Il fourmille toujours d’idées, de projets, reprend Chantal Hamaide. Je sais qu’Alessi vient de lui demander de dessiner un meuble métallique… Il n’arrête pas et je le trouve très en forme ! » Pas si mal pour ce designer « star » de 74 ans, dont la mère se demandait ce qu’on allait faire de lui quand il était ado et ne quittait pas sa chambre.

 (1) Musée Carnavalet : 23 rue de Sévigné, Paris 3e

(2) Galerie Jousse Entreprise : 18 rue de Seine, Paris 6e

(3) Galerie Ketabi Bourdet : 22 passage Dauphine, Paris 6e