S’il devait refaire sa vie, il la commencerait par la photographie. C’est sur le tard que Gilles Dallière s’y est consacré et s’y consacre désormais au quotidien. Pour sa troisième exposition, du 8 au 13 novembre 2022, il partage la Galerie David Ghezelbash avec les photographes Ari Rossner et Nancy Wilson-Pajic. Un événement organisé par Marie Vital-Durand, fondatrice de la Galerie DartBLAY, à l’occasion de Paris Photo et de PhotoSaintGermain 2022.

Envolée - série clair/obscur - © Gilles Dallière

Convoqué par Yves Taralon, un soir de « charrette »…

Sa vie d’avant ? C’était la déco, les décors, la presse et le stress qui va avec. Gilles Dallière en parle sans nostalgie, sans regret, évite les mauvais souvenirs, s’attarde sur les bons. Comme sa rencontre avec l’architecte d’intérieur, décorateur et scénographe Yves Taralon, qui le convoque un soir de « charrette », sans même regarder son CV : « Il m’a demandé d’improviser une perspective, comme ça, au débotté. C’était un vendredi, le lundi j’étais embauché. » Durant sept années, Gilles Dallière va ainsi beaucoup dessiner, apprendre le métier de styliste et côtoyer le gratin du genre : Marie-Claude Bérard, Nelly Guyot, Chaton Saconay, Marie-Paule Pellé... Autant d’écoles d’excellence. Puis, par une suite de hasards et autres concours de circonstances dans le Paris des années 1980, où les coups de fil pour des jobs se passent au beau milieu de la nuit, il va poser ses bagages dans la rédaction du magazine Maison Française. « J’ignorais tout de la presse », confie-t-il, installé pour déjeuner à une table du Café de la Butte, à Montmartre où il habite. « Claude Berthod, alors à la tête du journal, va me demander de créer de l’image, imaginer et bâtir des salles, des salons, des pièces entières, avec des décors ». Sa deuxième maison devient illico le studio Rouchon, aux Gobelins. C’est là, avec de nombreux photographes, qu’il va « concevoir et construire du rêve ».

Autoportrait - octobre 2022 © Gilles Dallière

Juste une mise au point

À sa sortie des collèges et pensionnats qu’il a fréquentés, Gilles Dallière était loin de penser qu’un jour il ferait « rêver » les lecteurs d’un magazine… À l’époque, il veut devenir peintre. Nous sommes à la fin des années 1970 et ce fils de bonne famille, avec un père industriel et une mère férue d’art, intègre les Beaux-Arts de Saint-Étienne, ville où il est né. Mais le sort s’en mêle et, durant des vacances d’été à Cannes, il est victime d’un accident de voiture. Suivront trois mois d’hospitalisation et la perte d’un œil. Coup dur. Sa mère est à son chevet, non stop. L’année suivante, à son arrivée à l’École Camondo, à Paris, Gilles Dallière se sent mis à l’écart : « Je faisais peur… » La douleur associée à une solitude extrême. Une épreuve, doublée d’un nouveau rapport au corps. À commencer par l’œil qui ne voit plus. Mais l’autre, qu’en est-il ? « Il voit comme l’objectif d’un appareil photo, avec le même effet d’aplati. » Un signe particulier qu’il a souvent dû expliquer et rappeler, lors des séances de shooting qu’il a supervisées pour Maison Française. Et, là, deux écoles : les photographes « stars » qui font la gueule ou se moquent des propos du styliste ; les photographes qui écoutent et acceptent que Gilles Dallière finalise la mise au point. Ces-derniers s’appellent Alexandre Bailhache, Nicolas Millet, Francis Amiand, Richard Alcock… « Je travaillais avec eux, je les guidais, mais je ne me sentais pas photographe », reconnaît Gilles Dallière. Même impression lorsqu’il partait régulièrement en Inde pour Forestier, maison de luminaires dont il est devenu le directeur artistique en parallèle à la presse, et qu’il immortalisait scènes de rue et d’intérieur. L’image, il l’imaginait, il la dessinait, mais, à l’époque, il en était convaincu, il ne la « faisait » pas encore. Il va lui falloir du temps pour sauter le pas, accepter, s’accepter. Le déclic : lorsqu’il quitte Maison Française en 2014. Il se forme alors à l’Institut de la photographie, s’initie à Photoshop, Lightroom, InDesign, achète son premier Leica, puis un second – un M10-R - qu’il équipe d’un cordon impossible à couper, pour dissuader les voleurs. Car on a déjà tenté de lui dérober son appareil en pleine rue : « Pour détourner la lame du couteau de la lanière, c’est mon pouce qui a été entaillé… » Jamais sans son Leica et, surtout, prêt à tout pour lui : c’est le début d’une reconversion assumée. Enfin. « Je suis un grand timide », confesse-t-il juste avant son dessert au Café de la Butte. Puis, il ajoute : « À 18 ans, je voulais être peintre. Aujourd’hui, je suis finalement photographe. » C’est dit.

Chimère - série clair/obscur - © Gilles Dallière

Vertige - série clair/obscur - © Gilles Dallière

« Un entre deux mondes »

 Sa série s’intitule clair/obscur. Accrochée sur les murs de la Galerie David Ghezelbash, rue Jacob, elle se compose d’une quinzaine de photos, tirées dans des formats de 140 x 85 et 90 x 55. Des images que Gilles Dallière a souhaitées sur le thème de la rencontre entre des opposés qui s’attirent, où nature et architecture se veulent complices, de connivence. Où un subtil jeu de superposition, déformation, transformation, vient créer ce que le photographe appelle « un entre deux mondes ». Le tout paré de blanc, noir, gris, clair, obscur et soutenu par des textes - un par image – dont il est l’auteur. Aidé et encouragé, dans cette aventure photographique et éditoriale – un ouvrage accompagne les tirages -, par la journaliste et mécène Joëlle Balaresque Hériard Dubreuil, l’artiste confirme, ici, sa place dans la cour des grands et parmi l’équipe des pros. « Je déteste les gens pressés, conclut-Gilles Dallière en terminant son café. Si tu veux être photographe, prends le temps de le devenir. »

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clair/obscur : à voir du 8 au 13 novembre 2022 à la Galerie David Ghezelbash – 10 rue Jacob, Paris 6e. Et aussi : séance de dédicace du livre clair/obscur, par Gilles Dallière, le samedi 12 novembre à 15 heures, à la galerie.

Gilles Dallière est aussi ICI  et sur Instagram : @gillesdalliere

Crépuscule - série clair/obscur - © Gilles Dallière