« Je rentre en réunion »

Les phrases qui se terminent par « pas de souci » ou « c’est clair » font bondir. Mais celle qui me donne encore plus la nausée est : « je peux te rappeler ? Je rentre en réunion ». Tout ça sur un ton plus que solennel. Comme si la vie de quelqu’un dépendait de cette fameuse réunion. Cette réunion-prison où l’on va à reculons. Celle qui est censée déboucher sur des idées, des projets et qui accouche d’une souris. Celle où l’on perd son temps, son énergie. Celle qui rend un peu plus con qu’avant. Celle de laquelle on envoie des SMS soi-disant urgents à des gens eux aussi en détention provisoire. Epoque formidable : hier, j’ai eu droit à ce « je suis en réunion ». Net. Sec. Cassant. Aussi déprimant qu’un disque rayé qui passerait en boucle. Je me mets parfois à rêver : si certains salariés, encore un peu planqués, se retrouvaient du jour au lendemain à la rue, sans note de frais, ni ticket resto, ni salaire fixe qui tombe à la fin du mois, répondraient-ils encore ce désinvolte « je rentre en réunion » à leurs interlocuteurs ? Puis, je me réveille. Les enceintes de la chaîne hifi crachent les Variations sur Marilou de Serge Gainsbourg. 7 minutes 39 secondes de décalage et décollage immédiats. Une invasive évasion, impensable en réunion.