L’enseigne Richard Orfèvre se voit sur la façade de l’immeuble du 30 rue des Gravilliers. Mais pour atteindre l’atelier-boutique de cette maison qui a vu passer cinq générations d’artisans, il faut traverser deux cours, tourner, contourner, hésiter, puis trouver. Un jeu de piste à deux pas du Carreau du Temple. C’est ici que Jean-Pierre Cottet-Dubreuil a posé ses outils d’orfèvre. La première fois c’était en  septembre 2002. Puis, dix ans plus tard, il en a pris les rênes, pour poursuivre les savoir et savoir-faire de cette institution parisienne créée en 1910. « Si on veut un présent et un avenir, il faut transmettre matrices, presse à balancier, meule, polisseur… et gestes », dit-il. Ce que Jean-Pierre Cottet-Dubreuil fait, en accueillant stagiaires et apprentis. L’un de ses principaux viviers : l’école Tané, dont les ateliers ont investi l’ancienne gare de Ploërmel, dans le Morbihan.

Le déclic : l’expo Versailles et les tables royales en Europe…

© J-C. Torres

« Tout petit, j’étais déjà attiré par les bougies, bougeoirs et lampes à pétrole », confie Jean-Pierre Cottet-Dubreuil. Originaire de Champagne, quand il venait voir sa grand-tante à Paris, son activité préférée « c’était passer rue Royale pour regarder les vitrines de Christofle, maison dont je collectionnais les catalogues ». « En famille, j’assistais aussi au nettoyage des couverts en argent pour les repas de fête : je ne comprenais pas pourquoi on ne le faisait pas tous les jours ! » Le déclic ? C’est en 1993, lorsqu’il va voir l’exposition Versailles et les tables royales en Europe. Il a 13 ans, dessine beaucoup, restaure déjà des pièces de mobilier et il le sait, il le sent, le métier d’orfèvre est fait pour lui. Fils aîné de vigneron, il doit malgré tout tenter d’intégrer un lycée viticole. Pas très motivé, sa candidature n’est pas retenue. Après un bac économique, il suit alors une formation de bijoutier-joaillier à Paris. Un cursus qui lui permet d'entrer chez Christofle pour trois mois de stage, « mais j’y suis resté trois ans ». Sa connaissance de tous les modèles de la maison bluffe les équipes et le propulse à la vente : « Là, c’en était fini avec ma timidité ! »

© J-C. Torres

Une nouvelle dynamique sans dénaturer l’existant

Son CAP d’orfèvre en poche, Jean-Pierre Cottet-Dubreuil cherche à être au plus près de la matière. Il veut la toucher, la manipuler, la façonner, fabriquer, intégrer un atelier. Quelques rencontres, le hasard et un brin de chance lui ouvrent les portes de la maison Richard, dans le Marais. Vite adopté, il développe l'espace boutique, supervise le centenaire de l'enseigne, sollicite des designers pour créer des pièces plus contemporaines.  Lorsqu’il prend la direction de l'institution en 2012, il continue d'insuffler cette nouvelle dynamique sans pour autant dénaturer l’existant. L’atelier reste dans son jus, mais l’espace boutique est revu avec la complicité de l’architecte Grégory Monier. Les boiseries sont conservées, mais une grande table en chêne sert de comptoir et présentoir, de larges ouvertures invitent la lumière naturelle à entrer, le parquet en point de Hongrie donne une impression de salon parisien. L’âme du lieu est préservée, les clients de longue date continuent d’apporter leurs couverts à réargenter, mais on voit aussi de jeunes couples venir commander une ménagère… Jean-Pierre Cottet-Dubreuil accueille, peu à peu, « une nouvelle génération en quête d’art de vivre et d’objets qui rappellent l’enfance ».

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« Sortez vos couverts ! »

© J-C. Torres

Durant les périodes de confinement, il n’a pas chômé. Au contraire. Jean-Pierre Cottet-Dubreuil en a profité pour concrétiser un projet personnel de trois paires de « flambeaux vénitiens, en verre filigrané de Murano, habillé de vermeille ». Ces pièces uniques lui ont demandé 160 heures de travail, en solitaire, pour chaque duo. Emballés et sur le point de partir jusqu’à Venise, ces flambeaux seront présentés dans le cadre d'Homo Faber, exposition dédiée aux métiers d’art, du 10 avril au 1er mai 2022. Car Jean-Pierre Cottet-Dubreuil a désormais envie de s’exprimer autrement, avec des objets, des œuvres, sans commanditaire, ni cadre préétabli. Une sorte de sujet libre, une carte blanche, où il dessine, maquette, teste, fabrique, apprend à contourner les difficultés. Une nouvelle aventure pour surprendre et séduire collectionneurs et décorateurs. « Le beau fait du bien », rappelle-t-il. Un « beau » qui n’a rien de figé. Un « beau » où styles et époques se côtoient. Un « beau » à l’heure d’Instagram, réseau sur lequel l’orfèvre cartonne. Ses mots de la fin et dont il veut faire un ashtag : « Sortez vos couverts ! » Car cet argent fait le bonheur.

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Richard Orfèvre : 30 rue des Gravilliers, Paris 3e - Tél : 01 42 72 13 05. Et aussi ICI.