Les mains s’activent. Dans les ateliers, on ne chôme pas. Car certaines pièces demandent plusieurs semaines de travail. Un travail précis, minutieux, sur mesure. Tel que dégarnir, emballer, clouter, piquer, pour un fauteuil. Mouler, modeler, rachever, décorer, pour des émaux. Couvrir, recouvrir, lustrer, polir, pour une dorure à la feuille d’or… Des gestes appris, acquis, puis transmis. Un savoir-faire auquel Martin Pietri est sensible. Il en a même bouleversé son « plan de carrière » pour être au plus près de celles et ceux qui « font », créent, fabriquent, donnent vie à des pièces d’exception. En 2013, il a fait ses adieux à la fonction publique pour racheter, coup sur coup, les maisons Taillardat, Émaux de Longwy, Vernaz & filles et Craman Lagarde. Leur point commun : l’univers de la décoration. Un monde aux antipodes de la vie d’avant de Martin Pietri. Le normalien se destinait à une carrière universitaire. Mais un poste aux Finances, à Bercy, lui a ouvert une autre voie.

Le normalien a envie d’entreprendre

« Je suis un laborieux. » C’est ainsi que Martin Pietri se définit. Et son cursus le prouve. Après une prépa au lycée Marie-Curie, à Sceaux, ce fils d’ingénieur intègre Normale sup’ à Cachan. Puis, en marge de l’agrégation, il fait des études de droit jusqu’à un projet de thèse en droit européen de la concurrence. C’est sérieux, tout ça. La suite : un passage au centre des études européennes de l’ENA à Strasbourg ou encore la responsabilité du Cycle des hautes études pour le développement (Ched) au ministère des Finances, à Paris. Là, il croise la route d’un patron de PME qui lui donne envie d’entreprendre. Nous sommes à l’orée des années 2010. Le courant passe entre les deux hommes. Résultat : en 2015, ils rachètent la maison Taillardat – Entreprise du patrimoine vivant (EPV) -, qui fabrique des meubles haut de gamme inspirés du XVIIe siècle. Un signe fort pour Martin Pietri : « Du côté de ma mère, je descends d'une famille d'ébénistes, les Jacob et Jacob-Desmalter. Or, il existe une chaise Jacob au catalogue Taillardat. » Quelques mois plus tard, le duo s’empare, cette fois, des Émaux de Longwy, une manufacture – EPV elle aussi - de l’Est de la France fondée en 1798, alors en dépôt de bilan, dont les 40 emplois sont sauvés. Les deux sociétés sont réunies au sein d’un groupe baptisé Emblem Paris, co-dirigé par le tandem. L’idée est d’y ajouter des entreprises complémentaires, au savoir-faire reconnu, de façon à assurer une offre de décoration cohérente autour du « made in France ».

© Anthony Girardi pour SINOPLE

« Je n’avais plus de parachute »

En 2016, c’est la tuile. L'associé quitte le navire. Martin Pietri se retrouve seul à la barre. Pas si simple. Surtout qu’il a démissionné de la fonction publique. Impossible de faire marche arrière : « Je n’avais plus de parachute. » Et ses investisseurs sont, eux aussi, aux abonnés absents : « Ils m’ont lâché, car ils ne croyaient pas en l’avenir des Émaux, pourtant aujourd’hui marque-phare du groupe. » Quand d’aucuns auraient jeté l’éponge, Martin Pietri, lui, voit l’opportunité d’avoir davantage de marge de manœuvre pour poursuivre l’aventure. Il trouve un banquier prêt à l’accompagner et Emblem Paris s’agrandit avec l’arrivée des maisons Vernaz & filles en 2018, puis Craman Lagarde en 2019. Martin Pietri évite à la première, spécialiste de la dorure, de déposer le bilan et fait l’acquisition de la seconde, créatrice de meubles de haute facture, à la barre du tribunal. Depuis, les quatre marques d’Emblem Paris font showroom commun, rue de Grenelle, dans le bureau occupé autrefois par l’architecte d’intérieur Christian Liaigre. Cet ancienne salle d’armes, de 100 m2 et 4,20 mètres de hauteur sous plafond, permet quelques mises en scène ou autres associations de styles, d’époques et de créations de designers. Ainsi le secrétaire « Le Monde » de Pierre Gonalons, qui a nécessité 600 heures de travail à l’atelier Craman-Lagarde, côtoie volontiers la collection colorée « Art Décool » de Nicolas Lequeux, réalisée pour les Émaux de Longwy.

« Des châtaignes et de la soupe »

Entre les cours qu’ils donnaient autrefois aux étudiants et le mini showroom de 12 m2 qu’il vient d’ouvrir à New York, Martin Pietri voit une certaine continuité. « Je transmets toujours, mais d’une façon différente. Quant au savoir et savoir-être appris hier, ils me servent encore aujourd’hui. » Domicilié à deux pas de son showroom parisien, il reconnaît que la frontière est mince entre boulot et vie perso. Alors quatre jours par mois, il s’échappe, chez lui – « c’est ma résidence principale » -, en Corse. « C’est là-bas que je recharge mes batteries. » Il pourrait y vivre à l’année, confie-t-il, « juste en mangeant des châtaignes et de la soupe ». L’ancien prof se fait philosophe. Quant à ses amis universitaires, ils sont bluffés par son parcours, en particulier par ses prises de risques. Martin Pietri serait-il un joueur ? Non. Plutôt un audacieux, auquel la chance fait des clins d'œil.

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