Elle reçoit dans la maison d’Auguste Comte. Rue Monsieur le Prince, à Paris. Drôle d’endroit pour un café et une rencontre avec un agent de photographes. Oui, mais Marie Valat a plusieurs cordes à son arc. Ainsi, depuis 2015, elle organise des expos d’art contemporain dans l’appartement du philosophe disparu en 1857. Un espace de 150 m2, reconstitué avec le mobilier d’origine, les livres et objets perso du fondateur du positivisme. Si on lui avait dit, gamine, qu’un jour elle papoterait philo, art et expo avec des normaliens, au sein de l’association qui gère cette maison-musée du Quartier latin, elle ne l’aurait pas cru. Elle, la rêveuse, la solitaire, « pas très scolaire », qui se voyait danseuse. Mais son père tique un peu sur un avenir en chaussons et justaucorps. Alors cette aînée d’une tribu de quatre enfants, qui a grandi à Epernay, oublie pointes et demi-pointes, décroche un bac G, puis un diplôme de visiteur médical. Son premier job : faire la promo du Sargenor. Pendant trois ans, elle part « seule sur les routes ». « J’en ai poussé des portes, alors que j’étais plutôt timide. » Mais ça lui forge le caractère et, surtout, ça développe sa fibre commerciale.
« Shooting : c’était la première fois que j’entendais ce mot… »
Dans les années 1990, Marie Valat a envie d’autre chose. Besoin d’air. Aller voir ailleurs. Direction une boîte d’intérim. Celle-ci la propulse au service communication des Nouvelles messageries de la presse parisienne. « Je m’occupais des shootings. C’était la première fois que j’entendais ce mot… » Ça lui plaît. Alors quand un ami photographe lui propose d’intégrer l’agence de pub RSCG, elle dit oui tout de suite. C’est là qu’elle se fait un œil, développe son goût pour l’image, apprend ce qu’est une photo. Chef de pub, puis directrice de clientèle, elle reste près de dix ans en agences. Toute une école et toute une époque. A la naissance de ses deux enfants, qui se suivent de peu, elle quitte la pub. Mais pas pour rester inactive. Impensable pour elle. Curieuse de tout, touche à tout, entre deux biberons et deux siestes, elle créé la marque de tricots « Marie Adélaïde ». L’idée : confier à « des mamies de Paris », qui aiment la laine et les aiguilles, le soin de confectionner « paletot, gants et bonnet assortis ». Un trio gagnant auprès d’une clientèle chic du faubourg Saint-Germain, qui veut du local, de l’original, de la qualité. Le circuit court avant l’heure.
L’air du temps en une photo
Lorsque sa fille rentre en maternelle, Marie Valat met le tricot entre parenthèses. Changement de décor : elle aide à la création d’une maison de production de films. Là, elle renoue avec le stylisme, les castings, l’image… Elle veut embarquer des photographes dans l’aventure. Pas si évident. Elle crée alors sa propre agence en 2008. Son mode opératoire ? Il se résume en un verbe : « accompagner ». Pas question pour elle d’être juste une intermédiaire entre des clients potentiels et les photographes qu’elle représente. « Je leur donne beaucoup de devoirs », dit-elle en souriant. En effet, en dehors des commandes, elle leur soumet des thèmes à décliner en moodboards, portfolios, séries d’images, vidéos, contenus pour les réseaux sociaux… Parce que ne pas produire, ni montrer, ni poster de façon régulière, c’est impossible à l’heure de Pinterest. Et Marie Valat donne l’exemple : chaque matin, sur Instagram, elle illustre l’air du temps ou son humeur du jour en une photo.
La jeunesse l’intéresse
Hasard des rencontres, parce qu’elle marche beaucoup au feeling, les six photographes actuellement dans « l’équipe Valat » sont toutes des femmes. La dernière arrivée n’a que 21 ans. Elle s’appelle Yvonne Dumas Milne Edwards. Marie Valat l’a repérée cet automne, en marge d’un jury de l’école des Gobelins dont elle était membre. Miser sur une jeune pousse, inconnue de tous, en pleine crise sanitaire : elle en a surpris plus d’un ! Mais l’agent « tous risques » se fait aussi tête chercheuse. La jeunesse l’intéresse. Elle suit, de près, le périple de son fils aîné, parti en mission humanitaire en Tanzanie, avec un appareil photo. Il n’a que 19 ans et vit chez l’habitant. Une ouverture d’esprit qui fait écho à la sienne. En 2015, quand elle a donné carte blanche à l’artiste Mathias Kiss dans la maison d’Auguste Comte, elle a défendu le projet en ne découvrant que le matin du vernissage, la totalité des créations qui allaient côtoyer les effets du philosophe. Tout aussi audacieux : cette année, sur une suggestion du commissaire d'expo Pascal Beausse, elle a demandé à l’artiste Martine Aballéa de créer le jardin imaginaire d’Auguste Comte, dans le cadre de PhotoSaintGermain, qui vient de débuter. Le résultat : un jeu d’images, reflets et voilages à découvrir sur le site de la maison-musée. Aujourd’hui, Marie Valat lorgne aussi du côté de la chapelle de l’Humanité, rue Payenne, dans le Marais. Ancienne maison de l’architecte François Mansart, qu’il avait lui-même construite au XVIIe siècle, cet édifice religieux a été imaginé d’après des plans d’Auguste Comte. C’est le dernier temple positiviste conservé en Europe. Et la gamine d’Epernay, qui se dit encore « autodidacte », l’ouvrirait bien à l’art contemporain.