Tout commence le jour de sa communion solennelle. Quand d’aucuns se retrouvent embarqués dans un voyage à Lourdes ou à Rome, Charles Pétillon préfère un appareil photo comme cadeau. Il l’a voulu. Il l’a eu. Mais, à l’usage, il s’aperçoit que celui de sa mère, prof de maths, est plus performant. Alors il en use et en abuse. Au collège Saint-Bertin de Saint-Omer, où il étudie, pas de filles, mais un club photo. Evidemment, il s’y inscrit. Le passe-temps devient alors passion. « A l’époque, je ne savais pas que je pouvais vivre de la photo », raconte ce fils de clerc de notaire lillois. Alors il passe un bac G3, enchaîne avec un DUT de commerce et une Licence qui lui permet de devenir assureur. Il va d’ailleurs bosser un an dans un cabinet de courtage à Lille. « J’allais au bureau à reculons », se souvient-il.
« Je faisais les cafés et vidais les poubelles pleines de polaroïds… »
Un matin, il réalise qu’il n’a « ni prêt bancaire, ni femme, ni enfant ». Il se sent plus libre que la moyenne. Bref, rien ne l’empêche de tenter l’aventure de la photo. « Excepté que je n’avais pas les bons diplômes pour devenir assistant d’un photographe. Même à Lille. » Alors il accepte le titre d’assistant stagiaire et les tâches ingrates qui vont avec : « Je faisais les cafés, repeignais les cyclos, vidais les poubelles pleines de polaroïds… » C’était encore l’époque de l’argentique, des planches-contacts et des tirages réalisés « seul dans le noir ».
Shoot pour Ted Lapidus et cellule de 8 m2 dans un couvent
Un jour, il croise la route d’un chef op’ du photographe Jean Larivière. Au fil de la discussion, Pétillon fait comprendre à son interlocuteur qu’il serait prêt à beaucoup pour assister Larivière. Message reçu 5 sur 5. Quelques mois plus tard, Pétillon débarque à Paris et va se présenter lors d’un shoot que Larivière réalise pour Ted Lapidus. Le Lillois plaît. Pris à l’essai pour un mois, il va finalement rester trois ans aux côtés de celui qu’il appelle son « maître ». Entre 1999 et 2001, l’assistant porte, emporte, supporte, ploie sous les poids, ne compte pas ses heures et, le soir, il se contente d’une cellule de 8 m2 dans le couvent de la rue des Tanneries. C’est dur, mais plus que formateur.
« Je suis tout le temps sur un fil »
« En photo, on ne sait jamais si on va y arriver ». Pétillon doute « en permanence » : « J’ai l’impression d’être tout le temps sur un fil. » Ça donnerait le vertige à plus d’uns. Mais ça dope l’ex-assureur. En 2002, alors qu’il essaie de se « dépolluer », de s’affranchir de l’univers Larivière, Pétillon cherche, se cherche. Entre Lille, où il vit, et Paris, où il a un pied à terre. Il se positionne comme photographe de nature morte et, petit à petit, trouve jobs, premiers clients réguliers et agent pour le représenter.
Sans trucage et sans retouche
Au milieu des années 2000, il joue dans la cour des grands. Il amorce alors ses premières installations de ballons blancs. Au départ, à titre expérimental. Mais, dès 2008, il immortalise ses assemblages de ballons en latex. « Rien à voir avec une déco de mariage », dit-il en riant. En effet, les formes créées son quasi organiques et mises en scène pour délivrer des messages philosophiques, poétiques, voire politiques. A l’instar de son diptyque baptisé « 33 kilomètres » : « c’est la distance qui sépare Sangatte des côtes anglaises les plus proches ». Pétillon a bâti un ponton de 20 mètres de chaque côté de la Manche, qu’il a recouvert de ballons immaculés. Une installation « réalisée sans trucage » et un duo de photos dépourvues de toute retouche. Même priorité à la sincérité avec ses igloos, ribambelles et autre nuage de ballons qui symbolise ces données perso que nous semons à tout vent… Des créations qu’il a exposées pour la première fois en 2015, à la Maison de la photo, à Lille. Son travail est alors chroniqué sur un blog lié au New York Times : c’est le début du succès. Subitement The Guardian, The Independent, puis la presse française s’intéressent à ses ballons. Résultat : il les expose à Paris, Shanghai, Londres… Quand il investit Covent Garden en 2016, c’est avec 300 kilos de ballons.
« Je reste vigilant »
« Je dessine tous mes projets », confie Pétillon, dont les variations autour du latex blanc à gonfler occupent désormais 60% de son temps. Ses installations sont devenues une signature, un signe distinctif. « Mais je reste vigilant », dit-il, un brin superstitieux. « Je continue de faire évoluer mon travail. » Un travail amené à parcourir le monde à nouveau en 2017. Une reconnaissance qu’il associe à ses années passées aux côtés de Larivière : « J’ai appris à regarder les choses avec lui. » L’élève va-t-il dépasser le maître ? En tout cas le maître vient aux vernissages de l’ancien élève.
Expo « Invasions » de Charles Pétillon, à voir jusqu'au 14 janvier 2017 à la galerie Magda Danysz, à Paris.