Franc-tireur au franc-parler

C GHION

Contrairement aux apparences, il aurait dû devenir juriste. Car en fac de Droit, il en a pris pour cinq ans. Rien ne le prédestinait donc à glisser vers le design. Si ce n’est un stage chez un commissaire-priseur à Enghien-les-Bains. C’est là que Christian Ghion va observer les objets de plus près et vouloir en savoir plus à leur sujet. Premier réflexe : s’inscrire à l’Ecole du Louvre. « J’étais le plus jeune et le seul garçon ». Pas marrant. Il tient six mois et s’échappe. Puis, il tente sa chance dans une école d’archi, où il doit « bricoler » quelques objets pour faire bonne figure à l’entretien. « Le directeur m’a reçu, a regardé mon travail et m’a ri au nez en me faisant comprendre que je n’avais pas le niveau ». Sauf que Ghion ne s’avoue pas vaincu. Il ouvre le dialogue. Réaction du « dirlo » : « qu’est-ce que vous pouvez faire pour moi, dans cette école ? » Réponse de Ghion : « …faire sauter vos PV ». Ça plaît. Il est pris. De cet échange surréaliste va naître une complicité entre le maître et son élève un peu à part : « par la suite, je suis devenu son assistant et même prof dans l’école, raconte Ghion. On se voit toujours aujourd’hui ». Mais c’est avec l’architecte Patrick Nadeau qu’il se met à dessiner, créer, inventer. Une collaboration qui va durer dix ans, avant que Ghion ne quitte la dynamique du duo, pour lui préférer le boulot en solo. A une nuance près : « quand je dessine, je suis seul, sans avoir l’impression d’être solitaire ».

« Je préfère discuter en faisant les courses au marché que via Internet »

Bijoux pour le joaillier Fred, boutiques pour Chantal Thomass, Jean-Charles de Castelbajac, restaurants pour le chef Pierre Gagnaire, couteaux pour Forge de Laguiole et Nontron, vase pour Daum, tasse pour Nespresso, accessoires pour Alessi, cuisine pour Arthur Bonnet… il touche à tout. Par goût. Par curiosité. « Je fais un métier artistique, mais je ne suis pas un artiste. Je donne une valeur ajoutée esthétique à un travail fonctionnel, en apportant confort, humour, poésie », résume le « designer réactionnaire ». C’est comme ça qu’il se voit. « Je peste contre la modernité, poursuit-il. Stop à la domotique ! J’aime les aiguilles d’une montre ou celles d’un compteur de voiture. Je préfère discuter en faisant les courses au marché que via Internet ». Le bureau de vote ? « Je n’y vais plus depuis vingt-cinq ans. C’est un choix de résistant ». « Come as you are », peut-on lire sur un autocollant posé à l’entrée de son bureau à Ménilmontant. Une invitation à la libre expression, à la décontraction, comme celle qu’il affectionne dans les rues de Silver Lake, à Los Angeles, où il se rend chaque année. « A Paris, il manque une sorte de gaieté et d'entrain », reprend-il. Alors il regarde en arrière. Du côté des années 1980, époque -formidable- où « les loyers n’étaient pas hors de prix, on trouvait du boulot et Paris avait encore des boîtes de nuit mythiques. Même les voitures n’ont plus d’allure aujourd’hui ! » Il part chercher un bouquin consacré à Aston Martin, en feuillette quelques pages et fulmine contre les modèles les plus récents de la marque anglaise. Au fait, lui, il se déplace avec quoi ? « Une petite Suzuki et une DB7 : l’Aston Martin du pauvre ».