« Je suis un centre-villiste. » Jean-Luc Colonna d'Istria n’a plus de voiture depuis dix ans. Dans Paris, il fait quasiment tout à pied. Sinon, c’est le métro, qu’il qualifie de « plus beau du monde ». Né dans le XVIe arrondissement, aujourd’hui il vit et travaille à deux pas du Marché des Enfants Rouges. Gamin, il voulait être architecte. « Mais je ne savais pas et je ne sais toujours pas dessiner. » Alors, il opte pour « une voie classique » : dans les années 1980, il apprend les rudiments du marketing et du management, d’abord à l’université Paris-Dauphine, puis sur les bancs de Sciences Po. Suivra « une coopé de dix-huit mois » au Japon, « pour comprendre le pays ». Fasciné par cette destination - « qui a su garder sa culture à l’heure de la mondialisation, qui sait mêler minimalisme et plastique rose » - , il y retourne, depuis, deux fois par an.

Personne ne croyait à la réussite d’une boutique en fond de cour...

Son métier ? « Intermédiaire entre différents talents ». C’est comme ça qu’il a créé le catalogue de jouets éducatifs pour enfants Bien Joué, qu’il revendra ensuite à la Fnac. Suivra le concept store Résonances. Puis, avec la complicité de Marie-France Cohen, le « destination store » Merci. Nous sommes en 2009, en pleine crise financière. Merci ouvre boulevard Beaumarchais. A l’époque, personne ne croit à la réussite d’une boutique en fond de cour, dans cette partie alors plutôt calme du Marais. Depuis, Sandro, Acné, Bonton, Vanessa Seward ou encore la Maison Plisson ont débarqué dans le quartier. « On n’a jamais fait de publicité pour Merci, raconte Colonna. Le bouche à oreille a fonctionné et les réseaux sociaux ont remplacé une campagne de com’. » Aujourd’hui, un million de visiteurs passent chaque année devant la Fiat 500 garée en permanence dans la cour de Merci. « Tout le monde s'y retrouve. De l’étudiant en école d’art, branché mais fauché, qui vient voir l’une de nos expos, à la touriste américaine ou japonaise qui a les moyens de se payer un canapé à 5 000 euros. » Colonna parle de « mixité », de « mélange de tribus ». Un moteur pour lui : « ma définition du commerce, c’est relier les gens. La caisse n’est qu’une conséquence. »

« J’assume d’être bobo »

Quand d’aucuns le taxent d’être l’un des papes du grand Est parisien, il sourit : « j’assume d’être bobo ». Quand d’autres ne voit en lui qu’un « marchand », il répond : « j’appréhende le commerce comme un amplificateur de vie. » Sans cesse à l’affût de nouveautés, mouvements, curiosités, il note tout sur des « petits cahiers blancs ». Il s’en sert ensuite pour des projets. Là, il vient de conseiller les Ateliers d’Art de France pour l’ouverture du concept store Empreintes, rue de Picardie, dont la scénographie est signée Elizabeth Leriche. « J’aime faire ce qui me plaît », dit-il encore. Un luxe. Tout comme ne pas avoir « le sens de la possession ». « Chez moi, je n’ai pas d’objets. Je n’ai que des livres. » Et quand il part en vacances, « c’est en Corse, dans un village de 45 habitants, où je vis sans clé, ni télé. » Le contenu de sa valise ? « Que des bouquins. »