Charles Morin n’a aucun lien avec Christian, ni avec Edgar… « Morin n’était pas le vrai nom d’Edgar. C’était Nahoum. En revanche, Charles Morin était la signature que Churchill apposait lorsqu’il peignait. » D’emblée, il donne le ton. Il sait des choses. Faut pas la lui faire à l’envers. Même si l’avoir apparenté à Christian l’a fait sourire. « Alors qui êtes-vous Charles Morin ? » « Si je le savais… » Puis il enchaîne en déclinant le nombre de petits boulots qu’il a fait, « parce que j’étais nul à l’école ». « J’ai redoublé plusieurs fois. J’ai eu mon bac avec mention à 21 ans, en Corse. » Quant aux petits jobs, « j’ai été livreur de sushis, caissier au Carrefour de la porte d’Auteuil, journaliste pour un blog, j’ai fait des gâteaux à la chaîne dans une usine en Corse… » Il ne le dit pas, mais en se baladant sur les réseaux sociaux, on découvre qu’il a aussi une licence de philo, décrochée à la Catho de la rue d’Assas.

Phantom of the Paradise, lunettes noires et nuit blanche

Puis, un jour, il croise une fille… « C’était la fille de l’éditeur Christian Bourgois. » Il va l’approcher, le côtoyer même. Dans le même temps, ce sera la rencontre avec l’éditeur Gérard Berréby, que d’aucuns ont volontiers surnommé Swan, en référence au personnage créé par Brian De Palma dans son film Phantom of the Paradise. Morin écoute, observe, apprend, comprend comment on fait un livre. De l’écriture jusqu’à la fabrication de l’objet. Il se forme et s’informe sur le tas et le terrain. Il s’entoure aussi. Dans sa galaxie, où le port des lunettes noires permet de cacher les effets d’une nuit blanche, gravite groupies, étoiles filantes, l’éditrice Marie-Laure Dagoit, l’illustratrice Cloé Bourguignon, des photographes, des meneurs de revues, comme Christophe Ernault, le co-fondateur de Schnock. En 2013, Morin fonde Les Editions Multiple. Son rythme : « J’édite un livre par an. » Le dernier : Giacomo Joyce, œuvre posthume de James Joyce, avec une postface de l’écrivain Yannick Haenel, co-fondateur de la revue Ligne de risque, éditée par Morin. Boucle bouclée.

Chaîne d’Ancre, pension alimentaire et cabinet de curiosités

Le qualifier de dandy ? Trop facile. Morin est plus grinçant que ça. Moins tiré à quatre épingles aussi, tout en étant capable de disserter sur la Chaîne d’Ancre de la maison Hermès, qu’il a longtemps portée au poignet. « Je suis célibataire, je n’ai pas de pension alimentaire à donner, pas de voiture et pas de loyer à payer. » Si bien qu’il a un peu plus de liberté que la moyenne. Et il l’utilise pour bouger, voyager, écrire, éditer, créer un cabinet de curiosités. A l’instar de la boutique - « je préfère pôle de rencontres » - qu’il a campée durant trois jours au rez-de-chaussée de l’hôtel Récamier, place Saint-Sulpice. Avec la complicité de Marie-Laure Dagoit, il a exposé les bouquins qu’ils éditent, des portraits de Ginsberg, Shepard, les revues des copains, des autocollants à la gloire de Kerouac ou Genet… « Ça a bien marché », confie-t-il. Alors il va recommencer avant Noël. D’ici là, si on le cherche, on peut le trouver du côté de Montparnasse. Sa cantine, « c’est le Select ».